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Publié le par rey charles

social - économie

Patrons voyous. Les vautours se portent bien, merci !

Dans les Ardennes, les 160 salariés d’un petit conglomérat d’usines de boulons, placé en liquidation judiciaire, demandent à l’UIMM de payer pour leur préjudice moral.

Bogny-sur-Meuse (Ardennes), envoyés spéciaux.

Silence dans la vallée, acte 2… Le long des méandres de la Meuse, au coeur des forêts ardennaises, les vautours et les hyènes gardent le moral, eux. Dans le décor, les ouvriers apparaissent désormais pour ce qu’ils sont : la principale espèce menacée de l’écosystème. Qu’elles reprennent ou continuent, les affaires sont les affaires. Après le saccage des ateliers d’estampage Thomé-Génot à Nouzonville, démantelés en octobre 2006 suite aux détournements savamment orchestrés par un noyau d’affairistes américains, voici le tour d’un conglomérat de petites boîtes métallurgiques (Lenoir-et-Mernier, FAV-LCAB, Dauvin, Gérard-Bertrand et Jayot), à Bogny-sur-Meuse, rachetées à prix cassés lors de procédures judiciaires et, en quelques années, méthodiquement pillées pour financer les opérations successives puis elles aussi placées en liquidation depuis le 7 février (lire ci-contre). Mais cette fois-ci, l’architecte du désastre est un vrai gars du coin.

Vieille connaissance de la bonne société ardennaise, Philippe Jarlot a été conseiller prud’homal dans le contingent des employeurs, et il demeure représentant de la CGPME à l’URSSAF et adhérent du Syndicat des industriels métallurgistes Ardennais (SIMA, rebaptisé récemment UIMM Ardennes) et du MEDEF. Et quand - ironie de l’histoire - ce patron du cru propose de racheter pour 8 000 euros un site annexe de Thomé-Génot, Jayot à Gespunsart, le tribunal de commerce n’a pas l’outrecuidance de lui poser trop de questions. « On a toujours fait comme ça avec lui, on lui a offert des boîtes sur un plateau sans lui demander de comptes, observe Xavier Médeau, avocat des Thomé-Génot et, aujourd’hui, des Lenoir-et-Mernier. Lors du rachat de Jayot, j’étais présent à l’audience et je me souviens que l’administrateur judiciaire a expliqué qu’on connaissait bien Philippe Jarlot, qu’il était digne de confiance, pour justifier qu’on ne réclame ni plans ni comptes d’entreprise. La procédure n’a pas été respectée et je réfléchis à l’opportunité d’une action judiciaire pour faire établir la faute de l’État… » Quelques semaines plus tard, en décembre 2006, Benoît Huré, le président (UMP) du conseil général des Ardennes, ne lésine pas sur les mots louangeurs pour saluer « la formidable leçon d’espoir apportée par Philippe Jarlot » dans un département sinistré. Dans la foulée, le conseil général lui octroie 300 000 euros d’aides publiques, contre la promesse de trente emplois. Cet engagement, comme les autres, ne sera jamais tenu : à peine cinq mois plus tard, au début de mai 2007, c’est le dépôt de bilan… Et aujourd’hui, à Bogny-sur-Meuse, dans le berceau historique de la fabrication industrielle de boulons, les 160 salariés des entreprises de boulonnerie Lenoir-et-Mernier, FAV-LCAB et autres sont à la rue, dans une colère noire, avec leur carnet de commandes bien fournis, mais plus un radis pour faire tourner les boutiques.

Le jury populaire n’hésite guère

Mercredi après-midi, à l’intérieur de l’usine Lenoir-et-Mernier occupée par les ouvriers depuis la liquidation judiciaire, Claude Choquet, délégué CFDT, le seul syndicat en présence, lit un sévère acte d’accusation. Tout y passe dans le désordre : malversations, abus de biens sociaux, opérations immobilières frauduleuses, présentation de faux bilans, détournement des machines et des stocks, arnaques sur les cessions d’actions, commissions sur des ventes à perte, embauches de la famille, des petits copains, emplois fictifs, etc. Sur un bûcher de fortune, l’accusé, « victime d’une extinction de voix », plaisante un des gars, attend son heure, bouche cousue, mains cramponnées à des liasses de billets de 500 euros. Quelqu’un se dévoue pour les exigences élémentaires de la défense : « Mais mon client vous a quand même nourris pendant quelques années », tente-t-il, avant de repartir illico sous les quolibets. À la fois rigolard et grave, le jury populaire condamne le prévenu et, sous les palettes, les flammes viennent lécher les pieds du mannequin. Au bout d’un moment, les coupures factices de 500 euros, libérées, non sans résistance, par l’effigie du patron-voyou, découpent des flèches noires dans la grisaille du ciel. Un moment de détente au coin du feu, mais l’essentiel est ailleurs…

Depuis une dizaine de jours, les salariés des différentes entreprises du groupe, placées en liquidation judiciaire par la faute de Philippe Jarlot, écument Charleville-Mézières, sèment la zizanie sur les axes routiers qu’ils bloquent régulièrement et, surtout, mettent le souk dans le patronat local. « Notre patron était adhérent de l’UIMM, rappelle Claude Choquet. Il a pillé nos usines et volé nos emplois. Quoi de plus logique que de demander au patronat, plutôt qu’aux collectivités territoriales, de contribuer à l’indemnisation de notre préjudice moral en nous versant une prime supra-légale de 50 000 euros ? » Lancée à l’occasion d’une table ronde, vendredi dernier, à la préfecture des Ardennes en présence des représentants du conseil régional, du conseil général, du MEDEF et de la chambre

de commerce et d’industrie (CCI), cette idée tombe à pic, quelques mois après la découverte des retraits suspects de Denis Gautier-Sauvagnac et de la caisse noire « antigrève » à l’UIMM, évaluée à 600 millions d’euros. « À l’UIMM, on nous a expliqué que cet argent servait à fluidifier les relations sociales, raille encore Claude Choquet. Mais là, on offre au patronat un moyen de faire les choses un peu plus ouvertement. Qu’il paie pour les opérations douteuses de leur adhérent, ça serait un geste apprécié dans toutes les Ardennes. »

Dans un courrier commun au président de l’UIMM à Paris, Jean-Paul Bachy, président socialiste du conseil régional, et Benoît Huré, président (UMP) du conseil général, soutiennent la démarche des salariés et « en appellent au sens de la solidarité » de la puissante fédération patronale de la métallurgie : « En cas d’incapacité de l’employeur défaillant de réparer le préjudice, il faut bien que d’autres le fassent. Ce n’est évidemment pas aux contribuables ni au budget des collectivités de payer les conséquences d’une situation dont ils ne sont nullement responsables. » Pour Michèle Leflon, vice-présidente (PCF) de la région Champagne-Ardenne, « c’est une véritable innovation que de demander l’indemnisation par l’UIMM du préjudice moral infligé aux salariés du fait des agissements de leur patron. On ne peut dans ce contexte que souligner l’esprit de responsabilité des salariés. »

Le MEDEF « sidéré »

Interrogé par l’Humanité, François de Saint-Gilles, patron d’une petite entreprise de la métallurgie et président du MEDEF Ardennes, insiste sur la mobilisation patronale « pour recaser un maximum de personnes et maintenir les activités des entreprises en liquidation ». En revanche, il se dit « sidéré » par l’idée de faire financer par l’UIMM la prime supra-légale qui pourrait être versée aux salariés de Lenoir-et-Mernier, des FAV-LCAB et des autres petites boîtes. D’après lui, « Philippe Jarlot n’a plus versé de cotisations au SIMA et au MEDEF depuis deux ans… » Chez Lenoir-et-Mernier, la poubelle d’Ingrid, qui était comptable auprès de Philippe Jarlot, est pourtant aujourd’hui pleine des comptes rendus de réunion de l’UIMM, des formulaires pour les enquêtes de main-d’oeuvre et de la documentation interne, envoyées encore tout récemment par la chambre patronale.

Sur les braises, à pas de loup

Hier matin, descente surprise à la CCI : après quelques tergiversations, les salariés en lutte obtiennent un rendez-vous avec Géraud Spire, président de la chambre consulaire et par ailleurs juge doyen au tribunal de commerce de Charleville. « L’indemnité qu’on demande, c’est une indemnité justifiée, explique Claude Choquet. Et vous devez nous aider à convaincre l’UIMM. » Devant la presse, Géraud Spire avance sur les braises à pas de loup : « Le principe d’une indemnité supra-légale ne m’offusque pas, mais les entreprises paient déjà une cotisation spécifique aux AGS pour les cas de figure comme le vôtre. Nous sommes dans une problématique nouvelle, avec votre idée de vous indemniser pour les cas éventuels d’erreurs de gestion ou de mauvaise conduite de votre chef d’entreprise. On ne peut pas garantir le résultat avec l’UIMM, mais on souhaite qu’il y ait un dialogue, c’est préférable que de rester face à un mur. Cela dit, il est évident qu’en matière d’indemnisation, il faut s’adresser à tous les acteurs et donc aussi aux collectivités locales. » À la sortie de la rencontre, les ouvriers oscillent, entre espérance et exaspération. Leur combat, inédit mais exemplaire, continue.

Thomas Lemahieu Reportage photos de Pierre Pytkowicz

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